Pourquoi je ne retournerai pas dans la rue le 20 novembre

 


Chèr.e.s Vous toustes,

J’ai bien reçu votre invitation à une manifestation féministe le 20 novembre. Je vous remercie sincèrement d’avoir pensé à moi.

Le 20 novembre est la journée du souvenir transgenre (TDOR).

Se souvenir de la mort, ce n’est pas facile.

Se souvenir de la vie des personnes que nous avons aimé.e.s, c’est libérateur.

Comme chaque année depuis 5 ans, je vais donc passer cette journée à me souvenir de mes ami.e.s, proches, ou connaissances, et de mes ancêtres, trans et déviant.e.s de genre qui sont parties. 

Leurs yeux.

La douceur des cheveux de L., et son odeur, qu’aucune photo n’a conservé.

Le rire hypnotique de C., qui résonne encore parfois dans mes oreilles.

Les petits pas discrets de K. , lorsqu’elle s’approchait de moi sur un coin de dance-floor pour me sortir sa dernière vanne.

Leur mémoire vit en moi, et les chérir soigneusement, c’est donc me donner de l’amour à moi même.

J’écouterai aussi les histoires que raconteront mes ami.e.s et que je lirai sur les réseaux, des personnes transgenre que je n’ai pas eu la chance de connaître. Comme chaque année, cette douce journée à l’entrée de l’hiver, nous rappellera que nous faisons partie d’une lignée de survivant.e.s d’une force incroyable. Que nous sommes encore là.

Je suis donc au regret de devoir vous répondre que je ne pourrai pas prendre part à votre manifestation. Et afin d’éviter de vous décevoir deux fois, je préfère vous le dire d’emblée : si vous me proposez de célébrer le TDOR avec vous un autre jour, je déclinerai aussi l’invitation.

L’an dernier, le 25 novembre, plusieurs orgas de ma ville appelaient en même temps à une marche de nuit et à une cérémonie publique du TDOR. J’ai pensé que nous allions prendre un moment avant la marche pour nous souvenir de toutes les personnes transgenre qui nous ont précédé — quel que soit leur genre. J’ai pensé que les personnes cis allaient juste se taire, observer, et se recueillir avec nous, et qu’ensuite nous pourrions prendre la rue ensemble pour cette fameuse marche de nuit contre les violences sexistes.

Mais la manif est partie sans qu’il y ait eu de TDOR, et ce n’est qu’à la toute fin, que j’ai compris ce qui était en train de se passer.

J’avais été, tout simplement, bernée.

Il n’y avait pas de TDOR. Le TDOR avait été mangé par la cérémonie en mémoire des personnes victimes de féminicides.

Dites fort les noms des femmes trans assassinées. Oui, dites les, car je pense que vos voix ont beaucoup d’impact.

Mais s’il vous plaît, que ces voix qui portent ne couvrent pas celles des autres.

Celleux dont la filiation n’est pas reconnue par le système blanc patriarcal.

Celleux dont le prénom n’est même pas écrit quelque part sur une tombe.

Celleux qui ont choisi de se tuer.

Celleux qui sont mort.e.s de mort naturelle, mais seul.e.s, isolé.e.s, psychiatrisé.e.s.

Vos ancêtres hommes trans, non-binaires, déviant.e.s de genre.

Vos ancêtres qui voulaient être des femmes et qui l’ont caché toute leurs vies.

Vos ancêtres assignées femmes qui n’étaient pas des femmes.Vos ancêtres assigné.e.s hommes qui n’étaient pas des hommes, ni des femmes.

Et bien sûr vos ancêtres qui sont mort.e.s entouré.e.s, heureuxses, et dont on aime se souvenir aussi, le 20 novembre.

D’ailleurs, s’il vous reste une minute dans votre planning chargé en ce 20 novembre, j’ai moi aussi une invitation pour vous.

Je vous invite à vous rassembler en petits groupes de personnes de confiance, et à vous raconter des vraies histoires sur les vies des mort.e.s qui étaient déviantes de genre dans vos familles, parmi les artistes que vous admirez, et les militant.e.s qui vous ont précédé.

Il faudra peut-être pour cela faire un travail de fond, enquêter un peu, demander aux doyennes parmi vous, à vos grands-parents, ou même ressortir des documents bien cachés, gênants, des archives du féminisme fRançais.

Mais vous ne serez pas déçues du voyage, je pense. Je serai heureuse si vous arrivez à pleurer, car alors vous aurez tout juste commencé à abandonner l’idée que notre mort est une chose lointaine et abstraite, un combat politique, une « convergence des luttes ».

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