Chapitre 10 de "Transgender Warriors", de Leslie Feinberg

Ce texte est un extrait de la traduction de l’anglais vers le français du chapitre 10 du livre de Leslie Feinberg « Transgender Warriors », sorti en 1996. Il est disponible dans sa totalité sous forme de brochure.

 

chapitre 10

Au devant de la lutte 

 

        A l'aube du 13 mai 1839, on entendit l'appel des cors, des tambours et des coups de feu à travers l'ouest de la campagne galloise. Le gardien du péage, qui était habitué aux insultes des fermier-e-s qui devaient payer pour utiliser les routes, ne se formalisa probablement pas. Mais si, à cet instant, le gardien se dit que tout ce bruit venait de simples fêtard-e-s, il avait tord. Des paysan-ne-s amab* armé-e-s, habillé-e-s en femmes, déboulèrent à cheval en agitant des fourches, des haches, des faux et des armes à feu. Au moment où iels défoncèrent le portail du péage, leur chef-fe rugit : " Vivent les lois pour la gratuité ! Péages gratuits pour les mines à charbon et les fours à chaux ! " Ces revendications étaient entrecoupées par un mélange de musique, de cris et de coups de fusil. Les troupes rebelles fracassèrent les barrières du péage et repartirent victorieuses. 

Iels se faisaient appeler "Rebecca et ses filles". 

 

    Durant les quatre années qui suivirent, de nombreuses Rebeccas furent à la tête de groupes de milliers de leurs filles travesties venant de tout le pays de Galles. Iels détruisirent les barrières de péage qui saignaient les pauvres à blanc, et firent tourner en rond les troupes britanniques et la police locale pendant un moment. Il arrivait fréquemment que les fermier-e-s ne puissent pas se permettre de se déplacer pour acheter du matériel, ou pour vendre sur les marchés, car tout le dédale de routes appartenait à des propriétaires privés qui faisaient payer le prix fort à la moindre occasion. "Rebecca et ses filles" reçurent donc un large soutien populaire, qui reflétait en soi la "solidarité grandissante, la détermination et l'ouverture d'esprit des franges de population désœuvrées."

    Imaginez un peu allumer votre télé à la chaîne d'infos, et y voir des travesti-e-s mtf* à la tête d'une véhémente manifestation contre le Ku Klux Klan. Imaginez encore regarder un film dans lequel des personnes amab grévistes, aux allures puissantes et dignes, porteraient robes et perruques et sappelleraient "sœurs" entre elles. Et bien ce n'est pas ce genre de représentations des personnes travesties que j'ai pu voir dans la culture populaire quand j'ai grandi. Au mieux, la trans-identité était utilisée comme ressort comique. Au pire, cette forme d'expression de soi était montrée comme un comportement anti-social. C'est pour ça qu'il me semble aussi important que tout le monde sache, et les personnes trans en premier lieu, que des guerrier-e-s transgenres ont autrefois mené d'importantes batailles qui ont contribà changer le cours de l'histoire. Je dis bien 'transgenres' parce que ces militant-e-s ne faisaient pas que se travestir, iels prenaient aussi les noms, les identités et les liens de parenté d'un autre sexe que le leur. Les chef-fe-s mtf prenaient notamment la peinede boucler les perruques en crinière de cheval qu'iels portaient. Ce sont des comportements transgenres. Et pour la plupart de ces chef-fe-s, il n'était pas juste question de se travestir au moment de mener une rébellion. Iels faisaient aussi partie de groupes trans qui organisaient des fêtes, fêtes qui critiquaient les autorités en place et parfois dégénéraient en insurrections."D'ailleurs, enfiler des vêtements de femme et adopter des noms féminins lors d'émeutes était étonnamment fréquent pour des personnes amab au début de la période moderne"a écrit l'historienne Natalie Zemon Davis, qui a alisé une étude très innovante au sujet de ces rébellions.

    De la fin du Moyen-Âge jusqu'au 16e siècle, à travers toute l'Europe, porter un masque et se travestir vers un autre sexe faisait partie intégrante des longues traditions des carnavals urbains. Ces fêtes étaient organisées par des groupes de personnes amab -groupes qui avaient été fondés autrefois dans les campagnes par de jeunes personnes célibataires. Dans plusieurs villes françaises, on les appelait les Abbayes des Conards, ou Cosnards, ou Cornards, selon les villes. En Angleterre et en Écosse, les 'Lords of Misrule' (les Lords du Désordre) et les 'Abbots of Unreason' (les Abbés de la Déraison). Des groupes similaires existaient également en Italie du nord. En France, pour se nommer les chef-fe-s de ces groupes utilisaient des mots comme Princesse, Dame, et surtout Mère : Mère Folle et ses Enfants à Dijon, Langres, et Chalon-sur-Saône, Mère Sotte et ses Enfants à Paris et Compiègne, et Mère d'Enfance à Bordeaux.

[...]

 

La brochure entière est disponible ici :

Transgender Warriors chap 10 !

 

*amab : assigné-e homme à la naissance (assigned male at birth)  

*mtf : male to female

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