Autiste et noire : comment l'autisme accentue les stéréotypes dans les yeux des gens

Traduction d'un article de Catina Burkett

Article original publié sur spectrumnews.org

Note du traducteur : L'article se base sur des études et un contexte étasunien, mais les problématiques énoncées sont assez similaires en France, que ce soit par rapport au racisme ou à la prise en charge et aux représentations de l'autisme.


   
 

En tant que femme noire qui vit aux Etats-Unis, je suis toujours très attentive à comment les gens me perçoivent, et aux idées pré-conçues qu'ils peuvent avoir à mon propos. En tant que femme noire et autiste, je suis particulièrement consciente que mes collègues me voient souvent comme une ‘femme noire en colère’, malgré le fait que mes pensées et mon comportement sont tout à fait à l'opposé de ce stéréotype. (Je préfère me définir comme noire, et pas afro-américaine, parce que toutes les personnes noires ne sont pas africaines, et la majorité ne sont pas américaines.)

Il est particulièrement dangereux d'être "autiste et noir-e" à cause de ce genre de stéréotype culturel. Une des raisons pour lesquelles on me juge avec autant de rapidité, c’est qu'il n'existe aucune étude à propos des femmes noires autistes d'âge moyen.

Au travail, on critique souvent mon comportement. On me dit que mon attitude calme et décontractée me donne l'air supérieure et naïve, et que ma confiance en moi ressemble à de l'agressivité. Pourtant, quand je leur demande de préciser de quel comportement agressif il s'agit pour pouvoir changer, on me répond que je ne fais rien de mal.

De nombreuses personnes autistes peuvent avoir l'air têtu, ou réagissent avec une certaine lenteur lors de situations inédites. Si je me comporte de manière rigide, les gens vont parfois dire que je suis antipathique, insubordonnée, paresseuse, agressive ou incontrôlable. Si j'ai besoin de réfléchir avant de réagir à une situation donnée, certain-e-s diront que mon calme apparent est en fait une bombe à retardement, prête à exploser à tout moment. Pour résumer, même quand mes actions contredisent les idées négatives que les gens pourraient avoir sur moi, iels trouvent toujours une manière de retourner la situation contre moi, et de diaboliser mon comportement.

De plus, à cause de mon autisme il m’est difficile de modifier mon comportement. Par exemple, je n'arrive pas du tout à faire de l'alternance codique*, ou à changer le ton de ma voix ou mon attitude corporelle pour m'adapter en fonction des gens. Un jour, une femme blanche qui était ma supérieure s'est plaint à mon propos, demandant que j'apprenne à modifier mon comportement en fonction des gens. Même si j'ai compris ce qu'elle voulait, je me sentais et je me sens toujours déconnectée socialement, émotionnellement, et d'un point de vue rationnel, de cette attente à me conformer à la norme.

*Alternance codique, ou code-switching : Expression désignant le fait de changer de codes sociaux selon la personne à qui on parle (langue, vocabulaire, références et expressions utilisées, ton de la voix, posture, etc). Cette expression peut être utilisée par des personnes bilingues qui alternent entre deux langues, mais dans le cas de ce texte, cela fait référence à une alternance entre des codes sociaux culturels liés à la race. C'est une dynamique raciste à sens unique : il n'est généralement pas attendu d'une personne blanche qu'elle s'adapte à une personne racisée.

Sa demande me causa donc beaucoup d'anxiété. J'étais inquiète d'être en train d'échouer, même si elle m'avait décrite dans son évaluation annuelle comme "excédant les attentes à 90%". Je ne comprenais comment je pouvais changer qui j'étais. Je me suis donc concentrée sur faire mon travail, en restant moi-même. Ma supérieure est devenue de plus en plus froide, et mon environnement de travail hostile. Quelques temps plus tard, je dus me résoudre à démissionner.

Même si j'aimerais beaucoup avoir ma propre entreprise, ce n'est pas une bonne solution pour la plupart des personnes TSA*. Beaucoup d'entre nous apprécient la routine, la stabilité, les interactions sociales, l'indépendance et le sentiment d'appartenance apportées par un travail salarié. Tant que les chercheur-ses ne se penchent pas réellement sur les personnes noires et autistes, et que les stéréotypes ne sont pas repensés, tous-tes ces travailleur-euse-s loyales et efficaces seront laissé-e-s de côté.

*Trouble du Spectre Autistique : Acronyme parfois utilisé par des personnes concernées en tant qu'adjectif pour parler d'une personne autiste. "une personne TSA"

 

Contrainte par les clichés

Même au sein de la communauté noire, de nombreuses personnes ont essayé de me faire rentrer dans une case en me suggérant comment agir en tant que femme noire. Mes collègues noir-e-s ont tendance à me parler d'une manière familière, comme si on se connaissait. Leur capacité à alterner entre différents codes sociaux m'impressionne. Personnellement, je me sens submergée rien qu'à l'idée de devoir me démener comme ça au quotidien. La plupart du temps, je n'ai pas autant d'énergie qu'elleux.

Ces différences me posent beaucoup de problèmes, particulièrement dans mes relations avec d'autres femmes noires. Elles n'arrivent pas à s'identifier à moi, et à cause de ça je me retrouve isolée, et parfois prise au piège. Les gens ont tendance à dire que les femmes noires s'entraident, mais je n’ai pas cette expérience là.

Certain-e-s de mes collègues noir-e-s, souhaitant m'aider, m’ont conseillée d'être visible mais sans parler, ou bien de toujours attendre qu'on me parle avant de parler. En tant que personne TSA, je n'initie jamais une conversation. Je suis discrète. A cause de certains stéréotypes, mes collègues noir-e-s me voient aussi à travers leurs propres idées pré-conçues.

Après avoir été diagnostiquée à l'âge de 46 ans, je me suis intéressée aux études sur le sujet. J'ai trouvé de très bons articles qui valident mes émotions et mon expérience, mais je n'ai jamais rien trouvé à propos des personnes noires et autistes.

Le médecin qui m'a diagnostiquée m'a conseillée de ne pas révéler que j'étais autiste, sans quoi personne ne voudrait travailler avec moi. Quand j'en ai enfin parlé à un psychiatre et à des collègues psychothérapeutes, leur expliquant que j'avais des traits autistiques, iels rejetèrent l'idée en bloc. "Tu vas mal en ce moment, c'est tout," me dirent-ils.


Le besoin d'être vue

Il existe un débat au sein de la recherche sur l'autisme qui pose la question suivante : devrait-on prendre en compte la race lorsqu'on évalue la réussite d'une thérapie ? En 2016, Jason Travers et ses collègues ont analysé 408 études publiées et examinées par des pairs, études qui analysaient des traitements pour l'autisme basés sur des preuves. Seulement 73 études, c’est-à-dire 17,9% du total, prenaient en compte la race, l'origine ethnique ou la nationalité des participant-e-s. Et sur un total de 2 500 participant-e-s à ces 73 études, moins d'une personne sur cinq avait renseigné sa race - et 63,5% de ces personnes étaient blanches.

Lire cette étude me dévasta, et je ressentis une grande déception. Il ne fait guère de doute que la race a un rôle dans la manière de vivre l'autisme, et dans la manière de le traiter.

La race est rarement prise en compte dans les recherches sur l'autisme, parce que le diagnostic d'autisme est lui-même souvent ignoré chez les enfants et adultes faisant partie de minorités. Les statistiques sur l'autisme proposées par le Centre de Contrôle et de Prévention des Maladies (aux Etats-Unis) ne donnent aucune information sur la race ou l'ethnie des adultes autistes, même si on a vu dernièrement une augmentation des diagnostics chez les enfants minorisés. Toutefois, actuellement un enfant minorisé sur quatre - la majorité noir-e-s ou hispaniques - n'est toujours pas diagnostiqué.

Les gens ont souvent tendance à accuser les parents d'être responsables des faibles taux de diagnostics : iels ne signaleraient pas ou peu les symptômes de leurs enfants, ou bien n'auraient pas les ressources pour s'offrir les services de soignant-e-s spécialisé-e-s. Mais c'est encore un cliché, car de nombreux enfants issus de minorités ne viennent pas de familles défavorisées, ni ne manquent d'accès à des soignant-e-s ou à des professeur-e-s qui pourraient dépister leur autisme.

Afin de réfuter les clichés, les chercheurs-ses doivent inclure et suivre les personnes noires et autistes. Si nous voulons que les femmes noires et autistes aient accès à des programmes et des services en lien avec leurs besoins, les chercheur-ses doivent en premier lieu admettre que nous existons.


Catina Burkett a exercé en tant que travailleuse sociale, et en tant que superviseure clinicienne, dans deux Etats des Etats-Unis. Elle vit actuellement en Caroline du Sud.

 

Image d'illustration issue du site de l'American Autism Association.

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