Chroniques Trans n°1



Il est près de midi lorsque je quitte enfin la chaleur douce et rassurante de mes couvertures. J’ai vraiment pas super bien dormi. C’est toujours comme ça après une injection de Testo. La montée, la faim décuplée, le trop d’énergie, et le sommeil qui vient pas. Les Seresta que j’ai pu bouffer dans la nuit, rendent le réveil d’autant plus complexe. Ces petits comprimés blancs aux propriétés magiques, qui permettent d’effacer, le temps de quelques heures, l’impacte de la transphobie, les boucles mentales, et l’appréhension du futur. Deux grandes tasses de café pour contrer l’effet hypnotique des pilules enchanteresses. La pensée que je suis un humain 2.0 me traverse l’esprit et m’amuse ; un humain augmenté par tout un tas de molécules. Mon apparence de jeune garçon un peu tapette, je la dois à mes piqures bi-mensuels d’Enanthate de testostérone, ma fonctionnalité au quotidien, c’est le combo Nicotine+Caféine qui la génère, mon anxiété quant à elle, est domptée par l’Oxazepam ou l’Alprazolam, et puis, mon endurance en soirée  c’est la Cocaéthylène qui me l’apporte, et mes interactions sociales festives tiennent la route grâce à la 3,4-méthylénedioxyméthamphétamine ou encore à la 3-méthylméthcathinone . Une variation possible du super combo chimique qui permet à une personne Trans de survivre au quotidien.

Un petit bip sur mon téléphone me sort de ma réflexion. C’est F. qui vient de se réveiller également. F., c’est une personne transmasculine, comme moi, et c’est aussi ma bromance attitrée. Ca fait pas super longtemps qu’on a trouvé cette appellation pour décrire notre relation. C’est que, chez les Trans politisé.es, les relations sociales sont beaucoup plus complexes que celles qui sont proposées par le modèle cishétéro. F., je l’ai rencontré y’a un peu plus de deux ans, un peu avant ma transition. Iel était de celleux qui avaient deviné, avant même que je ne me out officiellement, que je n’étais pas une personne cis. Beaucoup trop impliqué, beaucoup trop allié pour pouvoir faire illusion. Et puis F. et moi on a fusionné pendant un temps. On se voyait presque tout les jours, on dormait ensemble, et on passait des heures et des heures, dehors, dans la nuit froide, à arpenter les ruelles tortueuses et les terrains vagues abandonnés ou se mêlent béton et herbes sauvages, tout en se racontant les histoires de nos vies. Au tout début, on crushait un peu l’un.e sur l’autre, mais ça, c’est souvent le cas chez nous les queers. La frontière entre attirance/amitié/amour est beaucoup plus poreuse que dans le monde mainstream.

F. me propose que l’on se rejoigne dans un parc près d’une église. J’accepte la proposition et file dans la salle de bain pour m’y préparer. Je me déshabille devant le miroir et observe mon reflet quelques instants ; ma peau marquée par tout plein de tatouages réalisés plus ou moins proprement, par des personnes qui ont pu traverser ma vie. Rendre l’éphémère éternel, figer des instants à tout jamais, par le biais d’une encre maladroitement injectée dans mon derme. Ma barbe fine et ma mâchoire devenue anguleuse viennent orner cette fresque improbable de marqueurs d’éternité. J’observe mon cou, mes bras, leur épaisseur, leur forme, leur musculature. Et puis mes seins, qui détonnent dans le paysage de mon corps. Ce corps qu’il est difficile d’apprendre à aimer, que j’essaye chaque jour d’apprivoiser. Ce corps qui ne ressemblera jamais vraiment à celui que l’on associe socialement à la masculinité, que j’aime pourtant habiter comme une revendication, comme l’expression d’un hackage des normes binaires et étriquées du genre. Ce corps qui, malgré l’ivresse et l’envie, reste souvent difficile à dévoiler aux amant.es qui traversent certaines de mes nuits. C’est qu’il a pu m’en valoir, des réactions tempétueuses, qu’il s’agisse de rejet, ou de fascination dangereuse. Ce corps qui n’est finalement que l’expression matériel de ce que je suis, et que certain.es ont su voir de cette façon, et en prendre soin, dans ces instants merveilleux ou la dysphorie n’existe plus.

On se retrouve avec F. On s’enlace, et on se tient par le bras pour se rendre au petit parc près de l’église. Les passant.es nous jettent des regards interloqués. Deux «  mecs », un peu shlags, avec une telle proximité physique, ça les intrigue. Mais pour nous, l’environnement extérieur n’existe plus. C’est l’automne et la lumière pâle s’infiltre entre les branches des oliviers. On est heureux.ses de se voir. On parle de l’intensité de nos vies. Les cis se douteraient jamais de tout ce qui habite nos quotidiens. De notre capacité à faire face, de notre force pour tenir tout de même, malgré les épreuves si lourdes qui parsèment nos existences. Iels n’ont aucune idée de ce que l’on traverse, quand iels viennent chouiner parce qu’on leur à fait remarquer la violence de l’un de leurs comportements. On est bien plus que des survivant.es. En plus de l’amertume de nos passés, et de nos drames familiaux, on continue chaque jour à se battre, à tenir, pour être la, les un.es pour les autres. Notre quotidien, c’est les ami.es et les camarades qui succombent à la vie trop lourde, c’est celleux qui vrillent, qui se retrouvent en psychiatrie, ou en tôle, pour simple motif d’avoir essayé de vivre. C’est les comas, les ODs, les agressions de toutes sortes, le harcèlement et l’acharnement. Le reflet d’un monde qui ne veut pas de nous. 


Et malgré tout cela, en cet instant précis, on est la, toustes les deux, fort.es et resistant.es, les yeux plissés par l’éclat du soleil froid, à rire franchement, et sincèrement, à partager de l’amour et de la joie, parce que, ce que vous ne pourrez jamais rompre, ce qui fait notre invincibilité, c’est la force de nos liens. Et grâce à eux, on continuera toujours à briller, plus haut et plus fort que vous.




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